ETUDES : enquêtes sur les usages de drogues et le VIH au Burkina Faso

Suivi médical des usagers de drogues infectés par le VIH à Ouagadougou, Burkina Faso

 

BASTIEN Vincent, SANKARA Augustin et SANKARA G. René H.

Association KASABATI, septembre 2011

 


 

Pourquoi une étude communautaire sur les usages de drogues au Burkina Faso ?

 

En dehors des publications du Comité National de Lutte Contre la Drogue (CNLD), et plus récemment d’une « Analyse rapide de situation de l’utilisation de drogue au Burkina Faso » menée par le CNLS/IST, peu de travaux avaient été réalisés jusqu’à présent pour évaluer l’importance de cette situation. Ainsi, de nombreuses personnes affirmaient qu’il n’existe pas de véritable lien entre la circulation des drogues et l’épidémie de VIH/Sida au Burkina Faso, dans la mesure où le pays compterait un nombre très faible d’usagers de drogue par voie intraveineuse. Il n’existait aucune statistique sur le lien entre l’usage de drogues et l’épidémie de Sida, sur la consommation de drogues parmi certains groupes vulnérables, et les usages de drogue par les Personnes vivant avec le VIH n’avaient jamais été documentés.

 

Avant de mettre en place des programmes d’intervention, nous estimions par conséquent qu’il était nécessaire de disposer d’un véritable état des lieux de l’usage des drogues parmi les PvVIH et certains groupes-cibles. Avec le soutien de l’Open Society Institute (OSI), l’association Kasabati a donc décidé de mener ses propres enquêtes dans le cadre du projet ETUDES, « Etude sur les Toxicomanies, les Usages de Drogues Et le VIH/Sida au Burkina Faso ». Ce projet, qui s’est déroulé d’avril à juin 2011, a consisté à réaliser une analyse de la situation, pour mieux comprendre comment les drogues circulent et sont consommées à Ouagadougou,  pour évaluer leurs effets parmi les Personnes vivant avec le VIH/Sida et la population générale, et pour  proposer des stratégies de réduction des risques intégrées aux programmes de lutte contre le VIH/Sida. Les résultats du projet ETUDES ont été présentés lors d’un atelier de restitution qui s’est tenu récemment à Ouagadougou. Cet article présente une partie de ces résultats, portant spécifiquement sur le vécu des usagers de drogues infectés par le VIH.

 

Recours thérapeutiques

 

L’analyse des données qui suivent sur les usagers de drogues infectés par le VIH, porte sur les vingt-sept (27) personnes nous ayant informé de leur statut sérologique et de leur séropositivité au VIH. Vingt et une (21) ont été interrogées parce qu’elles avaient été identifiées et approchées en tant que PvVIH ; pour les six (6) autres personnes infectées, l’information nous a été donnée au cours des entretiens individuels. Les données suivantes abordent donc certains aspects du suivi médical, à travers une série de questions posées uniquement aux personnes infectées par le VIH pendant les entretiens individuels.

 

Sur le plan médical, les ¾ des PvVIH usagères de drogues que nous avons interrogées sont suivies à la fois par une association et par une structure sanitaire. Cela reflète largement le dispositif de prise en charge existant au Burkina Faso, où les structures associatives jouent un rôle majeur dans le dépistage de l’infection à VIH et dans sa prise en charge psychosociale, mais aussi dans le suivi médical des PvVIH. A Ouagadougou, une dizaine d’associations gère des centres médicaux agréés par le Ministère de la Santé et est ainsi habilitée à prescrire et délivrer des traitements antirétroviraux.

 

Quant au rôle des tradipraticiens, il est sans doute ici sous-évalué : seuls 11% des répondants déclarent ainsi être suivis médicalement par un tradipraticien, mais il est probable que nombre d’entre eux ne soient tout simplement pas prêts à admettre leur recours aux traitements traditionnels ou néo-traditionnels.

 

85% des PvVIH usagères de drogues que nous avons rencontrées sont actuellement sous traitement antirétroviral, et près des 2/3 d’entre elles sont également traitées pour une infection opportuniste. Cela confirme à la fois le fait qu’elles sont régulièrement suivies sur le plan médical, et le développement de l’accès aux ARV pour les personnes infectées au Burkina Faso et dans la capitale en particulier.

 

Gestion du suivi médical et des traitements

 

Dans ces conditions, il est intéressant d’observer comment les PvVIH usagères de drogues parviennent à gérer leur suivi médical et la prise de leurs traitements. A ce titre, il est clair que les difficultés sont grandes pour les personnes que nous avons rencontrées : l’observance des traitements (respect du nombre de prise quotidienne et des horaires de prise) apparaît très aléatoire pour une majorité de PvVIH, et semble notamment se heurter à la difficulté de supporter les effets secondaires des ARV pour 52% d’entre elles.

 

De la même manière, le respect des rendez-vous médicaux apparaît difficile, puisque 74% des PvVIH interrogées ne se rendent pas toujours à leurs consultations, 67% ratent des rendez-vous pour leur approvisionnement en ARV, et 59% oublient plus ou moins régulièrement d’effectuer leurs examens de suivi biologique.

 

Quand on les interroge sur leur perception du lien entre leurs problèmes d’observance et/ou de suivi médical et leur usages de drogues, près de 1/3 des répondants affirment qu’il existe un lien de causalité, tandis que près de la moitié ne savent pas s’il est possible d’établir ce type de lien. Selon les PvVIH qui estiment que leur consommation de drogues influence négativement leur observance des traitements ou affecte la régularité de leur suivi médical, les explications les plus fréquentes sont illustrées par les témoignages suivants :

 

  • « Il m'arrive de dépasser ma dose et ça ne pardonne pas ».
  • « Soit on oublie les rendez-vous, soit on oublie les [traitements] ARV ».
  • « Souvent quand je fume trop, je n'ai plus le courage de me lever le matin. Alors si j'ai rendez-vous tôt pour chercher mes ARV, je laisse le lendemain pour y aller ».

 

Concernant les effets secondaires des ARV subis par les PvVIH usagères de drogues que nous avons rencontrées, les plus fréquents sont les troubles du sommeil et les nausées (52% des répondants). Viennent ensuite les maux de ventre et une fatigue importante, et dans une moindre mesure, les maux de tête et les pertes d’appétit. Les effets secondaires des traitements ARV sont donc visiblement très fréquents dans notre échantillon d’enquête, mais nous ne pouvons affirmer qu’ils le sont davantage que chez d’autres PvVIH, ni affirmer qu’il existe un lien de cause à effet entre consommation de drogue et fréquence des effets secondaires.

 

En revanche, il semble bien que la survenue d’effets secondaires puisse entraîner une augmentation de la consommation de drogues chez certaines PvVIH. En effet, 63% des répondants déclarent prendre des produits pour lutter contre certains effets secondaires, parmi lesquels des produits pharmaceutiques prescrits par leurs médecins, mais aussi divers produits tels que :

  • Le cannabis pour lutter contre les nausées et les vomissements, ou pour retrouver de l’appétit ;
  • Les anxiolytiques et les antidépresseurs contrefaits, employés face aux troubles du sommeil ou face aux sentiments d’inquiétude, de stress ou d’angoisse ;
  • Ou encore les amphétamines pour combattre la fatigue.

 

  • « Je fume encore plus si j'ai des nausées, l'odeur me fait passer l'envie de vomir ».
  • « Quand j'ai trop mal au ventre, je fume le caillou pour ne plus y penser, ça me détend complètement ».
  • « Je fume le cannabis pour les nausées. Parfois je prends des amphétamines quand je suis très fatigué ».

 

Conclusion

 

Bien qu’il ne nous soit pas possible d’affirmer que les difficultés rencontrées par les PvVIH enquêtées soient corrélées directement à la consommation de drogues (il conviendrait pour cela de comparer ces chiffres avec un échantillon de PvVIH non-usagères de drogues), cela témoigne au minimum d’une fréquence très élevée de problèmes de suivi médical et d’observance des traitements au sein de notre échantillon d’enquête. Ces chiffres, même s’ils mériteraient d’être affinés par d’autres études, mettent donc en exergue la nécessité d’un suivi spécifique des PvVIH qui consomment des drogues. Cela permettrait d’accompagner et de soutenir ces personnes dans l’observance de leurs traitements, mais aussi de leur proposer un dispositif de suivi médical qui tienne compte de leurs usages de substances addictives et des possibles interactions médicamenteuses entre les ARV et certains produits.

 

En fournissant les premières données sur les conditions de vie des usagers de drogues à Ouagadougou, les enquêtes réalisées par Kasabati dans le cadre du projet ETUDES permettent donc d’apporter un éclairage nouveau sur les liens entre VIH/Sida et drogues dans la capitale burkinabè. D’ores et déjà, elles ont le double mérite de briser le silence sur des pratiques jusque-là très taboues, et de susciter une réflexion nouvelle sur les stratégies à développer pour une politique sanitaire de réduction des risques qui ouvre aux usagers de drogues, les portes de la prévention, du dépistage et de la prise en charge des IST/VIH/Sida.

 

 


 

Vous pouvez télécharger le rapport complet du projet ETUDES (format Word) en cliquant sur le lien suivant : ETUDES-RapportAnalyseSituationnelle-FR

 

La version anglaise de ce rapport sera bientôt disponible en anglais.

 



16/09/2011
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