Choisir les conditions de sa mort est un droit

4ème Journée montpelliéraine d’éthique biomédicale :

Discours de Jean-Luc Romero, Président de l’ADMD

 

Jeudi 18 décembre 2008

Intervention de Jean-Luc Romero

Président de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité)

 

 

En préambule, je tiens à vous indiquer que contrairement à mes prédécesseurs, je ne suis pas un médecin, mais tout simplement un patient. Pas un technicien, mais un malade. Un malade qui déplore que, trop souvent, la fin de vie ne soit traitée que du seul point de vue médical. Oubliant qu’il s’agit d’abord de la mort d’un malade. De la fin de vie d’un citoyen.

 

Ainsi donc, en me gardant de caricaturer le travail de Jean Leonetti durant près de 8 mois, je constate que rien de fondamental ne serait changé à l’actuelle loi sur la fin de vie. Ce qui veut dire concrètement qu’aux cris de douleurs et aux appels au secours de Vincent Humbert, aucune réponse humaine et solidaire ne serait apportée. Qu’aux cris de douleurs et aux appels au secours d’Hervé Pierra, aucune réponse humaine et solidaire ne serait apportée. Qu’aux cris de douleurs et aux appels au secours de Chantal Sébire, aucune réponse humaine et solidaire ne serait apportée. Qu’aux cris de douleurs et aux appels au secours de Rémy Salvat, aucune réponse humaine et solidaire ne serait apportée. Qu’aux cris de douleurs et aux appels au secours de milliers d’anonymes, aucune réponse humaine et solidaire ne serait apportée.

 

Pour être tout à fait juste, la loi actuelle nous donnerait une réponse. Une ébauche de réponse, pour être exact. Elle a pour nom la sédation palliative terminale. En clair, une sédation qui provoque un « laisser mourir », terme inventé par Jean Leonetti lui-même, avec un effet terminal dans plusieurs jours. Le temps du deuil, nous disent les grands professeurs de médecine, théoriciens de la survie à tout prix. Le temps de l’horreur et du cauchemar pour ceux qui, comme Danielle et Paul Pierra, ont eu à connaître cette effroyable épreuve.

 

Car durant ces longues et pénibles journées, dans l’attente de la délivrance, les proches sont condamnés à assister à la dégénérescence de l’enveloppe charnelle. Qui d’entre vous pourrait accepter de voir son enfant, durant 6, 7 voire 10 jours, se convulsionner, être secoué de spasmes, se vider ? Personne. Pas même les plus arc-boutés sur le bien-fondé de cette loi. On accusera alors les praticiens de n’avoir pas su convenablement mettre en œuvre ce dispositif. Pourtant, sauf l’enchaînement au lit, rien n’interdira jamais au corps de lutter contre la mort de faim et de soif qu’on lui inflige, avant disparition totale.

 

Si je commence mon intervention par là, c’est pour vous dire, Mesdames et Messieurs, que lorsque l’on nous dit, afin de ne pas légiférer en faveur du geste euthanasique, que le personnel soignant aide à la vie et non à la mort, je pose la question : le retrait d’une sonde gastrique n’est-il pas un geste médical ? Je réponds si ! La sédation palliative terminale, qui consiste à injecter dans l’organisme d’un patient un produit suffisamment dosé pour provoquer un coma artificiel afin d’atténuer ses douleurs, n’est-elle pas un geste médical ? Je réponds si ! Alors pourquoi, en face d’une alternative, choisir le « laisser mourir », lent et psychologiquement destructeur, tant pour le patient lui-même que pour sa famille, plutôt que le « faire-mourir » ? Franchement, je ne le comprends pas.

 

Alors choisir les conditions de sa mort est-il un droit ? Pour nous, assurément oui ! Pas parce que nous souhaitons la mort plutôt que la vie. Nous ne demandons pas un droit à la mort comme certains mandarins aiment à le répéter bêtement du haut de leurs certitudes. Pas un droit à la mort, car c’est une obligation pour nous tous, même si certains font comme si la mort n’était pas naturelle et tout simplement la fin de notre vie.

 

Mais choisir les conditions de sa mort est un droit parce que nous souhaitons un choix entre deux morts. Une mort plutôt qu’une autre. Une mort qui nous parle, plutôt qu’une mort étrangère. Une mort apaisée, plutôt qu’une mort de terreur. Une mort préparée plutôt qu’une mort subie. Et surtout, car, même en étant malade, parce que nous n’avons aucune certitude sur ce que nous souhaiterons au dernier instant, nous voulons avoir le choix du dernier moment de notre vie : celui de sa fin.

 

D’ailleurs, cette demande à être aidé n’est pas marginale. Aux Pays-Bas, cela représente 2 % des décès. Transposés à la situation française, les chiffres seraient de 10 000. Donc, 10 000 décès à la suite d’un geste euthanasique pour 20 000 demandes acceptées.

 

Depuis notre plus jeune âge, la société nous éduque, nous enseigne, afin que nous devenions des femmes et des hommes responsables. Responsables de soi-même, d’abord. Responsables des autres, ensuite. Une large part de la théorie politique et sociale – celle à laquelle appartient le docteur Leonetti, je crois – nous apprend que le citoyen doit se prendre en charge et qu’il ne doit pas être assisté. Pourquoi, alors, lorsqu’il est le plus vulnérable, lorsque certains d’entre nous demandent à partir d’eux-mêmes ou à bénéficier d’un coup de pouce salvateur, la société leur répond-elle non ? Par esprit de contradiction ? Par idéologie ? Je répondrai par idéologie. Et par une idéologie qui n’a rien à voir avec notre République laïque mais avec la conception que la Vie appartiendrait à un Être supérieur et que nous ne pourrions nous dérober à la magie de la Vie.

 

Pourtant, je vous le dis, vivre n’est pas une obligation, et le 1er Empire a reconnu à chaque citoyen le droit de terminer sa vie de son propre gré, c'est-à-dire en se suicidant. Et c’est d’ailleurs ce que nous rappelle la Mission Leonetti : le suicide n’est pas pénalisé. En conséquence, l’aide au suicide ne l’est pas non plus dès lors qu’aucun geste n’est commis sur autrui, auquel cas, nous rappelle encore Jean Leonetti, il s’agirait d’un homicide volontaire. Parlant ainsi, il reproche implicitement aux tribunaux de ne pas avoir condamné Marie Humbert pour avoir répondu à la demande consciente et réitérée de son fils Vincent.

 

Alors le suicide, d’accord. Mais comment, puisque nous vivons dans un pays dans lequel la fourniture et le transport de produits vénéneux sont répréhensibles ? Le suicide par pendaison, par défenestration, par armes. Rien que de très violent. Pour soi-même, d’abord. Pour l’entourage ensuite, à qui l’on offre, comme geste d’adieu, ce dernier spectacle.

 

L’ADMD milite sans réserves pour que celles et ceux d’entre nous qui, parce qu’ils en ont les raisons objectives, parce qu’ils souffrent trop au quotidien, parce que leur vie, pour eux, s’apparente à de la survie, puissent se retirer de ce monde tranquillement, sereinement et être accompagnés dans ce qui est l’ultime phase de leur vie.

 

L’ADMD milite en faveur d’une loi comme il en existe une en Belgique et au Pays-Bas, demain au Luxembourg, après-demain en Espagne, alliant aide active à mourir et soins palliatifs, parce que nous n’avons aucune certitude et que, de ce fait, nous voulons pouvoir choisir. Librement.

 

L’ADMD milite pour l’obtention d’une loi républicaine de libertés qui respecte notre devise républicaine : Liberté, Egalité, Fraternité.

 

La liberté, pour celui qui veut mourir le plus tard possible, d’obtenir le secours le plus poussé de la médecine. La liberté pour le médecin qui ne voudrait pas pratiquer un tel acte, de bénéficier d’un droit de retrait, d’une clause de conscience. Mais la liberté aussi pour celui qui veut abréger ses souffrances d’obtenir ce qui existe déjà, légalement dans certains pays, de manière détournée dans d’autres.

 

L’égalité pour que puissants ou misérables, issus du milieu médical ou pas, vous bénéficiez des mêmes possibilités au seuil de la mort. Combien de médecins nous disent être opposés à une loi de légalisation de l’euthanasie mais savoir précisément, pour eux-mêmes, comment ils mourront ? Egalité pour l’accès universel aux unités de soins palliatifs, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui. Egalité pour obtenir les produits qui accélèrent la mort.

 

La fraternité, parce qu’il n’y a rien de moins fraternel que de laisser quelqu’un qui réclame la mort, souffrir au-delà de ce qui est supportable. Refermer la porte d’une chambre d’hôpital sur un patient en fin de vie ne l’empêche pas, de nouveau seul avec lui-même, d’hurler sa douleur monstrueuse.  La fraternité pour soulager les douleurs réfractaires ou les effets secondaires de bien des traitements.

 

Alors, j’emprunterai à Michel de Montaigne ces mots admirables et oh ! combien d’actualité : « Si nous avons besoin de sage femme à nous mettre au monde, nous avons bien besoin d’un homme encore plus sage à nous en sortir. »

 

Cette après-midi, je vous regarde. Vous êtes peut-être 300 dans cette salle. Combien d’entre nous mourrons d’un arrêt cardiaque, les cheveux blancs et en disputant une partie de tennis ou en écrivant le mot fin de leur autobiographie ? Une poignée. Mais combien d’entre nous mourrons dans une unité hospitalière inadaptée à notre grande souffrance et à notre grande détresse composée d’un personnel admirable mais impuissant face à la Mort qui approche, au petit matin, seul, - n’oublions pas que seules 24% des personnes meurent avec leurs proches à l’hôpital - entre le bruit de l’assistance respiratoire et ceux d’un hôpital qui s’éveille, fixant le mur beige de la chambre, le regard vide, la main cherchant désespérément celle de l’Autre ? Le cœur froid !

 

Comprenons-nous bien. Je ne conteste à personne, soyez-en assurés, le droit de finir sa vie dans des unités de soins palliatifs dont l’ADMD réclame également et depuis si longtemps la mise à niveaux des moyens pour répondre à 100 % des besoins alors qu’aujourd’hui ils n’en couvrent qu’une trop petite partie. Pour certains d’entre nous, chaque jour en plus est une victoire. Chaque jour en plus est un moment de bonheur à partager.

 

Je ne conteste à personne le droit de mourir le plus tard possible. Je ne conteste à personne le droit de vivre les douleurs d’une maladie jusqu’au bout. Qui sait, cela sera aussi peut-être mon choix lorsque mon sida ou mon cancer m’auront amené au bout du voyage.

 

Mais que personne ne me conteste, si telle est ma décision, le droit de décider moi-même, pour moi-même, du moment où, ma vie ne me paraissant plus valoir d’être vécue, il me faudra tirer ma révérence. Et que par simple pitié, quelqu’un ait le droit, à ma demande clairement exprimée, de m’assister dans un geste d’amour, de m’accompagner à m’éteindre sereinement.

 

A la question choisir les conditions de sa mort est-il un droit, je réponds sans hésitation : Oui !

 

C’est notre ultime liberté. Celle du citoyen mourant.

 

Je vous remercie.


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