Brésil : Défendre l'implication de la société civile

Au Brésil, « le droit à la santé a été incorporé à la nouvelle Constitution Citoyenne, définissant ainsi les bases d'un système public de santé régi par les principes de l’universalité, de l’équité, de l’intégralité et d'un contrôle politique exercé par la société ». Alors que le Système Unique de Santé constitue depuis le début de l’épidémie de sida, l’une des manifestations les plus importantes du rôle historique des mouvements sociaux dans la construction de la citoyenneté, la donne est en train de changer et la nouvelle place du Brésil dans l’économie mondiale bouleverse les équilibres : hier bénéficiaire de l’aide au développement, le gouvernement brésilien est devenu contributaire de l’aide internationale, au détriment des ONG brésiliennes. Face à ce changement de paradigme, celles-ci réagissent et dénoncent dans une lettre ouverte, la restriction d'un des principes de ce système, celui du contrôle des politiques publiques par la société.

 


 

SOS : Avec le Gouvernement Dilma, le « contrôle social »[1] exercé par les associations de lutte contre le VIH/sida est en voie de disparition

 

Rio de Janeiro, mars 2012.

 

 

Le Brésil vit une situation inouïe de crise du contrôle que la société civile à jusqu'ici exercée vis-à-vis de la réponse à l’épidémie du VIH/sida. Le succès de la politique brésilienne a toujours été fondé dans un travail conjoint entre Etat  et société civile organisée, où celle-ci non seulement exigeait des actions effectives des autorités – telles que la priorité accordée aux droits de l’homme – mais était également un acteur majeur dans le dessein et l’implémentation des politiques publiques. Que les sceptiques ne se trompent pas sur le rôle et l’importance de tels groupes : sans aucun doute si les associations travaillant avec le VIH et même les groupes des personnes vivant avec le VIH sont en crise, alors c'est la réponse brésilienne même à l’épidémie qui est en crise.

 

Récemment, d’importantes organisations engagées dans le champ du VIH-sida ont fermé leurs portes après des années d’activités au service de l’intérêt public. La menace de fermeture pèse sur d’autres organisations historiques dont les bilans sont déficitaires – organisations que l'on ne nommera pas ici dans un souci de respect et qui devront décider quand et comment rendre publique leur situation. Certaines, telles que le Groupe SOMOS (Rio Grande do Sul), le GAPA de Minas Gerais et le GAPA de São Paulo, ont déjà communiqué publiquement la suspension de leurs activités.

 

Bien que l’actuelle crise ne soit pas la première à la quelle se confrontent ces organisations, il est sûr que celle-ci est différente dans la mesure où elle est plus sévère et plus invisible. En partie, cette crise est due à un recul financier de la coopération internationale, qui a été au Brésil le modèle de base du financement des ONGs dans ce domaine. Deux facteurs fondamentaux sont à l'origine de ce recul : la crise financière internationale qui affecte les pays développés et la nouvelle projection du Brésil dans la scène internationale, qui fait de ce pays un donateur de ressources et non plus un bénéficiaire – ce qui entraîne ainsi la fausse perception selon laquelle les problèmes internes ont été désormais résolus.

 

Or, il faut souligner que ce recul n’affecte pas seulement les ONGs agissant dans le champ du VIH-sida, mais aussi une grande partie des ONGs brésiliennes qui dépendaient de ce modèle de coopération internationale pour jouer un rôle majeur dans la défense de l’intérêt public dans la lutte pour des politiques publiques qui universalisent les droits et la citoyenneté dans le pays. Tout en ayant parmi d'autres exploits joué un rôle fondamental dans la réalisation d’évènements historiques – tels que le Sommet des peuples pendant le Sommet de Rio et le Forum Social Mondial – et dans la participation à différentes négociations internationales, les ONGs brésiliennes sont en train de réduire de plus en plus leurs équipes et fronts d’activité en raison du manque de ressources. Cela signifie que beaucoup de contributions et de conquêtes réalisées au fil d'années de lutte vont désormais être rétribuées par le silence et l’abandon, au lieu de susciter un débat public qui puisse proposer des alternatives réelles pour la survie de ces organisations.

 

Récemment, des données ont montré l’augmentation de l’aide internationale du gouvernement brésilien – actions humanitaires et contributions au système de l’ONU[2]comprises –, qui s'est élevé à US$ 1,4 billions pendant les derniers cinq ans. Or, il est inacceptable que les organisations locales, nonobstant l’importance des donations brésiliennes aux pays et populations plus vulnérables, ferment leurs portes et cessent leurs activités au bénéfice des brésiliens et brésiliennes et, plus encore, soient empêchées de surveiller, exiger, coproduire et contrôler l’exécution des politiques de santé, qui sont mises en oeuvre avec des fonds publics. A qui intéresse que cette société civile organisée soit faible ? L’augmentation du PIB brésilien - qui surpasse même celui du Royaume Uni - comme synonyme du développement est une prémisse simpliste et qui convient. De cette équation sont exclus le revenu par habitant, les fortes inégalités internes, les situations d’extrême exclusion d’une partie de la population et le maintien des vulnérabilités sociales – ce qui est un terrain fertile pour la concentration
de l’épidémie du Sida. Le Brésil qui brille dans les salons de Genève et de New York n’est certainement pas le même face auquel nous luttons chaque jour, avec ses incohérences, injustices et inadéquations. C’est pour cela que le pays est au 81ème rang de l’indice de développement humain.

 

Au delà de la crise financière, l’autre face de la monnaie est l’évidente crise politique. Dans le champ du VIH-sida le dialogue de la société civile avec l’Etat est en train de se détériorer et il se trouve actuellement dans un moment critique. Cette aggravation a atteint son sommet lors des derniers mois, lorsque les médias ont parlé d'un « climat anti-ONGs ». Nous ne retrouvons pas dans notre mémoire récente un moment de plus grand éloignement entre le Ministère de la Santé et la société civile brésilienne. Concrètement nous pouvons citer l’épisode récent de censure d'une campagne de prévention pour le Carnaval de 2012 destinée aux homosexuels, dont le veto a émané de manière unilatérale du Pouvoir Exécutif ; la négociation et la souscription de contrats de transfert de technologie de médicaments pour le VIH avec des entreprises pharmaceutiques transnationales ne suivant aucun principe de transparence, et à contre-courant de la position historique brésilienne dans l’usage des flexibilités de protection de la santé publique prévues dans la Loi des Brevets ; les problèmes récurrents d’approvisionnement de médicaments antirétroviraux, dont les causes n'ont été adéquatement éclaircies ; l'exclusion évidente des organisations de la société civile de la Conférence Mondiale de Déterminants Sociaux de Santé, organisée au Brésil en 2011.

 

Au delà de la dégradation des relations entre la société civile et le Ministère de la Santé, nous assistons perplexes au démontage du Département de MST/sida situé au sein de ce Ministère. Bien que les pouvoirs publics soient soucieux de défaire cette impression, un nombre remarquable de personnes historiquement impliquées dans la lutte contre le sida a été exclu de ce Département. Les causes de cela demeurent obscures et doivent être éclaircies. A l'heure où l'on accepte de plus en plus la croyance selon laquelle le Brésil est un pays en plein développement, deux arguments fondent l’invisibilité et la marginalisation de la crise des ONGs impliquées dans la lutte contre le sida : toutes les demandes de la société auraient été incorporées aux politiques publiques ; les ONGs auraient perdu leur vertus n'étant désormais que des instruments de détournement de fonds publics. La participation de la société civile organisée ne serait-elle dès lors qu’un fait superflu et anachronique ?

 

Pour répondre à cette question il faut récupérer les enseignements des précurseurs de l’intelligence brésilienne du VIH/sida et des Droits de l’Homme. Il y a plus de vingt ans, la solidarité a été l’élément qui a orienté la réponse brésilienne à l’épidémie et celle-ci n’a pas été seulement perçue comme un élément de lutte contre les préjugés et la stigmatisation, mais aussi comme un principe fondamental de mobilisation sociale. Comme le dirait le sociologue Herbert de Souza, Betinho, le sida n’est pas seulement un problème de santé publique qui ne concerne que ceux et celles qui vivent avec le VIH et les professionnels de santé ; il est aussi un fait social qui devrait engager différents secteurs de la société non seulement dans des actions directes menées dans le champ de la santé, mais aussi dans la construction des politiques sociales.

 

A cette époque, le Brésil se trouvait dans un processus de ré-démocratisation. Le droit à la santé a été incorporé à la nouvelle Constitution Citoyenne, définissant ainsi les bases d'un système public de santé régi par les principes de l’universalité, de l’équité, de l’intégralité et d'un contrôle politique exercé par la société. Tel contexte a rendu possible des synergies dans la lutte menée dans le champ du VIH contre ce que Herbert Daniel – une autre icône de la lutte contre le Sida – a appelé ‘mort civile’.

 

A vingt ans de la disparition de Herbert Daniel, nous pouvons affirmer qu'un nouveau concept de ‘mort civile’ est en train de s'imposer aujourd'hui. A cette époque cela signifiait la restriction des droits civils au cours de la vie même en raison de l’infection du VIH. Aujourd’hui, la ‘mort civile’ est cet étouffement du principe fondamental du Système Unique de Santé : le contrôle sur les politiques publiques exercé par la société civile. Si auparavant la « mort civile » était causée par le sida, aujourd’hui elle est devenue la cause du sida ; tout ceci se passe sans que la société puisse contrôler ces processus, à l'heure où les possibilités de garantir des droits aux exclus se font moindres, alors que ceux-ci sont bien les plus vulnérables à l’infection. Pour eux le sida devient de plus en plus une conséquence de leur condition d’exclusion sociale.

 

Nous connaissons le rôle historique des mouvements sociaux dans la construction de la citoyenneté au Brésil. La préservation des principes du Système Unique de Santé est une lutte constante toujours en train de se faire. La restriction d'un de ses principes, celui du contrôle des politiques publiques par la société, affecte certainement tous et, pourquoi ne pas le dire, le processus démocratique tout entier.

 

Comme le disait Betinho, pour les ONGs brésiliennes il ne s'agit pas d’en finir avec L'Etat ou bien de viser de le remplacer : il faut plutôt collaborer pour sa démocratisation. Un grand nombre d’ONGs qui travaillent avec le VIH-sida ont accompli cette prémisse avec dévouement depuis une trentaine d'année et ce n’est pour aucune autre raison que le programme sida du Brésil est considéré comme l'un des meilleurs au monde. Lorsque ces organisations aidaient à construire les bases de ce programme, elles étaient reconnues comme des partenaires. Aujourd’hui, lorsqu’elles cherchent à collaborer de façon active pour le bon fonctionnement de ce programme, elles sont tout simplement ignorées. Au moment où l’affaiblissement de ces organisations est plus latent, le silence règne. Cependant, les ONGs-sida ont encore beaucoup à dire, à contrôler, à proposer et à défendre. Que ce soit même par des messages collés sur des portes fermées. Nous ne voulons pas être nostalgiques des jours où le ‘contrôle social’ existait de fait. Nous désirons que les autorités qui agissent avec négligence face au démantèlement de ce principe ressentent une honte proportionnelle à l’offense que tout cela représente pour la démocratie brésilienne et pour tous ceux qui luttent pour elle.

 


Signataires :

ABIA (Associação Brasileira Interdisciplinar de Aids)

GIV (Grupo de Incentivo à Vida)

GRAB (Grupo de Resistência Asa Branca)

GAPA (Grupo de Apoio à Prevenção à Aids) – RS

GAPA (Grupo de Apoio à Prevenção à Aids ) – PA

GAPA (Grupo de Apoio à Prevenção à Aids ) - SP

GESTOS –Soropositividade, Comunicação e Gênero

Grupo Pela Vidda – RJ

GTP + (Grupo de Trabalho em Prevenção Posithivo)

Fórum de ONGs Aids – SP

Fórum de ONGs Aids – RJ

Fórum Paranaense de ONGs-Aids

RNP+ (Rede Nacional de Pessoas Vivendo com HIV/Aids) - RS

RNP+ (Rede Nacional de Pessoas Vivendo com HIV/Aids) - RJ

MNCP+ (Movimento Nacional das Cidadãs Positivas) - RS

MNCP+ (Movimento Nacional das Cidadãs Positivas) - MG

MNCP+ (Movimento Nacional das Cidadãs Positivas) - PR

+ Criança

Grupo de Apoio à Criança Soropositiva

Libertos Comunicação

A viver

Aneps

CEDUS (Centro de Educação Sexual)

Articulação Aids da Bahia

Grupo Água Viva - Centro de Referência e Prevenção das DST/AIDS

Grupo Assistencial SOS VIDA

REDE LATINO AMERICANA E CARIBENHA DE AÇÕES VOLUNTARIAS DE COMBATE AO HIV/AIDS / REDLACV0+

Grupo Otimismo de Apoio ao Portador de Hepatite

Fórum de ONGs Aids – MG

CEDAPS (Centro de Promoção da Saúde)


[1] Au Brésil, le terme “contrôle social” se réfère à un des principes du Système Unique de Santé (SUS) qui garantit la participation de la société dans aux processus de formulation et de contrôle des politiques de santé.

[2] O Globo online:http://oglobo.globo.com/economia/brasil-no-rol-dos-paises-doadores-aos-pobres-3949673

 



18/04/2012
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