Confidentialité et recherches en sciences sociales

Le respect de la vie privée et la protection de la confidentialité en recherche

 

Sonya AUDY, consultante en éthique / 14 mars 2006


 

Avertissement : Nous vous proposons ici, sous forme d’extrait, la conclusion d’un rapport intitulé « Le respect de la vie privée et la protection de la confidentialité en recherche » pour le compte du Comité de liaison en éthique de la recherche de l’Université de Montréal (CLÉRUM).

 

 

Même si les concepts de vie privée et de confidentialité sont déjà présents dans l’Antiquité, ceux-ci ont été façonnés au gré des sensibilités des différentes époques ce qui en fait des notions complexes. Ainsi, le concept de vie privée qui, au départ, se résumait au droit à l’intimité, s’est élargi pour embrasser aussi la liberté de pouvoir restreindre l’accès à sa personne et de contrôler les informations qui la concernent. Les différentes tentatives en vue de définir le concept nous ont amenée à identifier plusieurs dimensions à la vie privée, notamment corporelle, physique, informationnelle, décisionnelle, mentale, spatiale et de la propriété. Cela allait avoir une incidence directe sur la justification éthique avancée. Pour les uns, le respect de la vie privée découlerait d’autres concepts moraux ou droits déjà existants – c’est ce que nous avons appelé l’approche réductrice. Pour bon nombre de penseurs, au contraire, il aurait un statut propre – c’est ce que nous avons appelé l’approche sui generis – en invoquant l’importance de respecter la vie privée tantôt pour la fonction qu’elle est appelée à jouer au sein de la société afin d’éviter certaines conséquences, tantôt pour sa valeur intrinsèque intimement liée à l’exercice de la liberté que possède chaque individu, sans égard aux conséquences. Le respect de la vie privée ferait partie intégrante du respect de la dignité humaine.

 

Le concept de confidentialité, quant à lui, n’est pas en reste. Hérité de la tradition hippocratique, il a longtemps été assimilé à la vie privée. L’évolution du concept de vie privée fait qu’il est maintenant distingué même s’il en est l’extension. Ainsi, la confidentialité concernerait plutôt les modalités de protection mises en œuvre en vue d’empêcher la divulgation de renseignements personnels à des tiers. Là encore, nous avons pu constater que même si l’on ne réduisait pas le concept à un principe déjà existant, il n’y avait pas d’unanimité parmi les auteurs quant au fondement de la confidentialité. L’importance de respecter la confidentialité découlerait tantôt de considérations instrumentales, tantôt de sa valeur intrinsèque, tantôt des deux. Nous pouvons néanmoins affirmer, après analyse, que le respect de la confidentialité fait partie intégrante du respect de la dignité humaine.

 

Ces différences et subtilités ont été reprises par les rédacteurs de textes normatifs. Sur la scène internationale, les Lignes directrices de l’OCDE ont joué un rôle important dans l’élaboration des normes qui ont suivi sur les scènes nationales. Le respect de la vie privée et la confidentialité ont été définis sous l’angle de grands principes sous-jacents qui, au fil du temps, ont été façonnés de manière à répondre aux nouveaux défis posés par les technologies de l’information et les progrès scientifiques. Ainsi, les deux concepts recouvrent l’idée de licéité et de loyauté dans la collecte, de la limitation en matière de collecte et de non-discrimination, de finalité, d’exactitude des données, de sécurité, de la limitation de l’utilisation, de la transparence, du respect des droits d’accès et d’intervention par la personne concernée et, enfin, de la responsabilité. Ces grands principes sous-jacents ont été repris, notamment, dans les textes normatifs européens, australiens, états-uniens, canadiens et québécois. Même si les règles édictées en vue de respecter la vie privée et la confidentialité ne sont pas d’application absolue, elles constituent néanmoins des obligations prima facie, c'est-à-dire des obligations qui doivent être respectées à moins que leur application entre en conflit avec un autre principe que l’on juge plus important dans une situation donnée.

 

Par ailleurs, le respect de la vie privée et la protection de la confidentialité en recherche engendrent des problèmes complexes, « car ils se nouent à différents niveaux et se croisent : conflit entre les droits protégeant la vie privée de l’individu et le devoir de l’État de protéger la santé publique et le bien commun, conflit dans le chef même de l’individu entre son souci de protéger son intimité et celui d’être protégé publiquement contre les risques entraînés par ce même droit au secret exercé par les autres (l’autre pouvant être très proche, le conjoint par exemple). » (MORAIS, Y. 2001).   

 

Partant, on a tôt fait de constater que vouloir respecter la vie privée et la confidentialité impose au chercheur qu’il considère attentivement plusieurs éléments lors de l’élaboration de son projet de recherche et, qu’en ce sens, il s’agit d’une étape cruciale qui favorise une prise de conscience de l’équipe de recherche et participe d’une démarche créative en vue de solutionner, éventuellement, les difficultés qui pourraient survenir selon les choix opérés.

 

Il lui faudra identifier les seules informations qui seront pertinentes et nécessaires à la bonne marche de la recherche et évaluer leur degré de sensibilité. Cette première étape est déterminante tant dans le choix des paramètres de sécurité qui devront être mis en place que dans la façon dont se fera la collecte de données. Si l’on considère que les informations relatives à la santé constituent des informations sensibles, cette question est peu banale.

 

De même, la méthode utilisée en vue d’identifier les sujets de recherche pressentis ne devra pas constituer une intrusion déraisonnable dans leur vie privée. À ce chapitre, nous avons examiné trois cas de figure relativement courants qui pouvaient être très mal perçus par les intéressés et qui pourraient aisément (!) être solutionnés en sollicitant au préalable leur consentement.

 

En outre, la méthode de collecte des données pourrait poser problème. Ainsi, même si de façon générale, les données sont recueillies par l’entremise des sujets de recherche ayant consenti à participer au projet, nous avons vu qu’il pouvait en être autrement pour certains types de recherches. Nous avons alors abordé la difficile problématique de l’utilisation secondaire de données sans le consentement des personnes concernées. À cet égard, nous avons pu constater que les discussions semblent souvent vouloir s’enfermer dans une fameuse logique binaire. Or, l’exercice pourrait s’avérer, selon nous, stérile. Si l’on admet d’une part que la recherche est génératrice de bienfaits pour la collectivité et d’autre part, que cette recherche est tributaire de la participation directe ou indirecte de sujets de recherche, les deux parties sont donc condamnées à trouver un terrain d’entente quant à la nature des intrusions dans la vie privée et des limites à la confidentialité qui seraient acceptables. L’enjeu n’est pas anodin : « [w]ithout trust that the personal, sensitive data that they share with researchers will be handled with some degree of confidentiality, subjects will not participate in research projects. If people continue to withdraw from full participation in their own care, the personal health data from medical files and patient databases that researchers may rely on to recruit subjects or conduct records-based studies will be inaccurate and incomplete. » (GOLDMAN, J. et CHOY, A. (2001)

 

Ainsi, le temps est peut-être venu de renégocier un nouveau contrat social qui prendrait en compte les attentes de toutes les parties concernées eu égard au partage des renseignements de santé, qui définirait les informations qui relèvent de la sphère privée et celles qui sont publiques. Les sensibilités actuelles nous ont amenée à suggérer pour l’avenir la mise en œuvre, en amont, d’un devoir d’information envers les personnes susceptibles d’être concernées et de l’expression d’une option de retrait. Cette suggestion ne ferme pas pour autant la porte à toute utilisation secondaire de données pour des cas d’exception qui satisferaient aux six conditions mises de l’avant.

 

Par ailleurs, vouloir respecter la vie privée et la confidentialité suppose que l’équipe de recherche prévoit des mesures de protection adéquates, tant en termes de format de conservation et d’utilisation des données que de mesures de sécurité relatives aux technologies utilisées, aux lieux et équipements, aux chercheurs et collaborateurs, aux demandes d’accès et de communication, au retour d’information individuel et autres mesures particulières. Ainsi, la protection ne se limite pas simplement à un classeur verrouillé ou à la dénominalisation des données. Elle ratisse beaucoup plus large et doit être adaptée, notamment, à la sensibilité des renseignements obtenus.

 

Un autre élément important lors de l’élaboration de la recherche a trait à la complétion du projet de recherche. Ainsi doit-on examiner dans quelle mesure la publication des résultats ne sera pas de nature à porter atteinte à la vie privée des sujets de recherche et à la confidentialité des renseignements qui les concernent. De même faut-il décider de la durée de conservation des données, voire déjà anticiper leur utilisation secondaire, tendance fortement encouragée, s’il en est. Cet élément s’intéresse aussi à l’archivage et à la destruction des données.

 

C’est également à l’étape de l’élaboration de la recherche que l’équipe s’appliquera à rédiger le formulaire de consentement. Nous avons rappelé à cet égard les éléments de base que devrait comporter toute rubrique Vie privée et confidentialité et, le cas échéant, Utilisation secondaire de données.

 

Enfin, outre le formulaire de consentement, la recherche peut comporter d’autres documents destinés aux sujets de recherche, tels un questionnaire, ou encore prévoir des procédures ayant une incidence certaine sur le respect de la vie privée et la protection de la confidentialité, telles la fusion projetée de données. Dès lors, il importe que le CER [Comité d’Ethique pour la Recherche] ait accès à l’ensemble des documents et informations pour les fins de la prise de décision. Nous avons profité de l’occasion pour rappeler que les règles en matière de confidentialité étaient également applicables aux membres du CER et à son personnel et que, partant, par souci de transparence, il importait que le chercheur permette la libre communication entre les différents CER concernés par son projet.



24/07/2010
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 169 autres membres