Ethique et sciences sociales : quel apport pour la biomédecine ?
Ethique et recherche en sciences sociales sur le
sida : quel apport pour la biomédecine ?
Laurent Vidal
IRD, Dakar
Animation régionale
de Dakar
Réseau des chercheurs
“Droit de
Agence Universitaire
de
Je vais maintenant illustrer cette
conception de l’éthique à partir de recherches sur le sida qui confrontent
sciences sociales, sciences médicales et pratiques des soignants. Je m’arrêterai
sur 3 situations, deux concernant la recherche épidémiologique et une la
recherche anthropologique.
1)
Dans
les essais cliniques pour des raisons de « puissance statistique » (un
nombre minimal de patients doit être inclus dans la cohorte, dans un temps
relativement compté), la participation à l’étude peut être présentée sous des
aspects moins contraignants qu’elle ne l’est en réalité. Cela pose un problème
éthique et méthodologique. En premier lieu, l’épidémiologie ne travaille pas
sur des populations exhaustives, mais échantillonne les groupes auprès desquels
l’étude va être menée. Se pose alors le problème de maintenir la
représentativité de cet échantillon : s’il est exact que des refus
successifs de personnes présentant un même profil sociodémographique ou
clinique peut être, sur le moment, préjudiciable à la représentativité de
l’échantillon, il reste toujours possible, avec le temps, d’obtenir l’accord
d’un nombre suffisant de patients possédant ces caractéristiques. Pour ce
faire, il importe de ne pas être contraint par un délai rigide dans cette phase
dite d’ « inclusion ». Contrainte qui relève le plus souvent
d’impératifs financiers (un allongement de l’étude étant synonyme de surcoût)
ou de pressions liées à la compétition internationale entre équipes.
L’imprécision du recueil de consentement
dans le but de « gagner du temps » dans la phase d’inclusion des
patients serait même contre productive d’un simple point de vue méthodologique.
Nous savons, en effet, les malades de plus en plus attentifs aux conditions de
déroulement des essais thérapeutiques auxquels ils participent. Et les demandes
ou récriminations des patients se développeront d’autant plus
aisément — et de façon d’autant plus justifiées ne serait-ce que sur
le plan des principes — que les informations données au moment de
leur inclusion dans l’étude, pour avoir leur consentement, auront été peu à peu
simplifiées.
Ces constats montrent, d’une part, qu’il
est nécessaire de connaître les appréciations des patients sur la démarche
envisagée en essayant de comprendre comment eux-mêmes, avant même le début de
l’essai clinique, vivent avec leur maladie, se soignent et en parlent à autrui.
Donc nécessité d’avoir une connaissance minimale des contextes de vie avec le
VIH. Et ensuite nécessité d’en déduire des démarches qui seront forcément
contextualisées, notamment en matière d’information du patient.
2)
Autre
situation, le cadre d’un essai de réduction de la transmission mère-enfant du
VIH mené en Côte d’Ivoire, les chercheurs ont très rapidement été confrontés au
problème de l’information que la femme (enceinte, séropositive) pouvait et
devait donner à son mari et à ses proches : comment prendre un traitement
durant la grossesse sans que son mari ne soit informé qu’elle est infectée par
le VIH ? Comment réduire la durée de l’allaitement, comme cela été
conseillé par les médecins participant à l’étude, pour éviter un risque
supplémentaire de contamination du bébé, mais sans que cela ne génère de
l’ostracisme chez des personnes non informées de sa séropositivité ? Là
encore le contexte est important : nombre de femmes découvraient à
l’occasion du test effectué pour participer à l’étude qu’elles étaient
séropositives, et donc n’avaient pas pensé cette question du partage de
l’information. Contexte important à préciser mais aussi contexte sur lequel il
faut travailler, s’appuyer sans imposer de règles intangibles.
Ainsi les médecins et épidémiologistes ont conçu avec les femmes qui estimaient être dans l’impossibilité totale d’informer leur mari des scénario d’information spécifiques : de telle sorte qu’à la fois elles puissent arriver à protéger leurs relations sexuelles ; réduire la durée de l’allaitement et éviter tout risque, ressenti, d’exclusion : comme exemple de discours tenu, elles expliquaient ainsi à leur conjoint qu’elles souffrent d’une maladie affectant leur sein et que donc :
b) il leur est déconseillé de tomber
enceinte, par conséquent leurs relations sexuelles devront être protégées.
On voit donc que des discussions entre
soignants et malade permettent d’adopter des pratiques qui touchent au plus
près des principes éthiques (ne nuire ni au malade ni à ses proches, respecter
ses choix et donc son autonomie) : cela été possible parce que ces
principes auront été confrontés aux difficultés rencontrées par les femmes pour
partager l’information sur leur séropositivité.
3)
Ce
constat vaut pour l’anthropologie en général (Vidal 2004). En 1990, lorsque
j’ai début mes recherches en Côte-d’Ivoire, j’ai été confronté à la
non-information fréquente des patients de leur statut sérologique. D’où une
question de fond : peut-on continuer à suivre des patients qui ne
connaissent pas leur statut sérologique et qui, soit ont délaissé les mesures
de prévention, adoptées un temps, soit demandent des explications sur la nature
de leur maladie ?
Ne plus les rencontrer aurait été une
forme de rupture méthodologique (tant de patients ne seront plus vus, donc les
données jusqu’alors recueillies auprès d’eux resteront incomplètes, peu
exploitables dans une perspective anthropologique) mais aussi, simultanément,
un recul face à l’implication critique qui doit guider les choix de
l’anthropologue et relevant d’une éthique de la recherche sur le sida. Dans les
situations d’observation et d’échanges que l’on expérimente, cela revient à se
considérer comme un lien critique entre le discours médical et celui des
malades. Par ailleurs, continuer un suivi de ces malades en laissant sans
réponse certaines demandes d’information contredirait le choix d’une
relative proximité instaurée avec ces personnes : attitude contraire à une
simple déontologie professionnelle et qui, à terme, nuirait à la qualité de la
relation établie, donc à celle des informations recueillies pour, au bout du
compte, marquer négativement la méthode développée dans cette recherche.
Ce qui m’a amené dans des situations
extrêmement précises, et ponctuelles, à prendre la responsabilité de dire à des
personnes — mais bien évidement à elles seules et à aucun tiers —
qu’elles sont infectées par le VIH. Ceci dès lors qu’il y avait : une
demande forte ; des prises de risques évidentes ; plus aucun contact
avec les soignants ayant effectué le test.
Je veux dire ici que lorsque l’on
réfléchit aux liens entre les choix méthodologiques et éthiques on en déduit
qu’inscrire sa démarche dans le souci de respecter des principes généraux
(recueil d’un consentement informé et non contraint ; garantie de la
confidentialité) non seulement n’est pas incompatible mais va de pair avec des
adaptations aux situations rencontrées dans l’exercice quotidien de la
recherche. Adaptation qui n’est ni une démission méthodologique ni un
affaiblissement des exigences éthiques : cela ne signifie pas pour
l’anthropologue l’abandon de la démarche qualitative et de l’observation des
interactions et ne veut pas dire pour l’épidémiologiste le non respect de la
représentativité, de la « puissance statistique » des données
compilées ; cela ne traduit pas non plus un délaissement du rapport de
confidentialité instauré avec le malade ou un affaiblissement de la procédure
de recueil du consentement, puisque que c’est très précisément la situation
inverse que l’on encourage à travers ce processus d’adaptation.
Je conclurai en insistant sur deux
points :
En premier lieu il est indispensable de ne
pas faire de cette volonté de comprendre les éléments de contexte, et de ce
souhait de trouver des solutions éthiques adaptées aux contextes de vie des
malades, aux pratiques des soignants ou à l’exercice de la recherche un nouveau
principe éthique : la seule « exigence » est le pragmatisme mais
en aucune façon elle ne doit devenir une règle.
En second lieu, je pense que les
chercheurs en sciences sociales et en particulier les anthropologues et les sociologues
ont le devoir de porter ce type de réflexion sur ce que j’appellerai un
relativisme éthique critique : plus que les autres disciplines,
l’anthropologie et la sociologie placent au cœur de leur démarche la prise en
compte des éléments de contextes qui gouvernent les actions des individus et
les modes de fonctionnement collectifs ; contextes culturels mais pas
aussi politiques et sociaux voire même économiques. Aussi ces disciplines
disposent à la fois des outils méthodologiques et des concepts leur permettant
de comprendre l’expression en actes, en pratique, de l’éthique : ce sont
les outils et concepts qu’ils mobilisent régulièrement pour analyser tout autre
phénomène social.
Références bibliographiques
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P., 2000, L’éthique mise à nu par ses paradoxes, même, Paris, PUF.
Massé
R., 2000, « Les limites d’une approche essentialiste des ethnoéthiques.
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Parizeau
M.-H., 1996, « Bioéthique » : 155-
Sève
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actes » : 199-
Vidal
L., Ritualités, santé et sida en Afrique. Pour une anthropologie du singulier,
Paris, Karthala-IRD, 209 p.