Etats-Unis : Solidaires des hommes noirs homosexuels ?

Sida : solidaires des hommes noirs homosexuels ?

 

Raac-sida, octobre 2011

Par Mathy KENYA NGANDU, Porte-parole titulaire du Raac-sida (Présidente de VES | Vie Enfance Espoir, Dr Joseph KOFFI, Porte-parole titulaire du Raac-sida (Vice-président de l’Aipes | Association ivoirienne pour la promotion de l’éducation et de la santé), Albertine PABINGUI, Porte-parole suppléante du Raac-sida (Présidente de Da Ti Seni | La Maison du bien-être), et Joseph SITU, Secrétaire du Raac-sida (Chargé de mission auprès des immigrants et des étrangers pour Aides)

 



Un article du New York Times publié le 3 août dernier rappelle que « le nombre de nouvelles infections par le VIH [aux États-Unis d’Amérique] demeure constant malgré de meilleurs traitements ». Si ce nombre est constant alors que la population totale croît, c’est que l’incidence (le taux de nouvelles infections par rapport à la population totale) décroît ; d’autre part, s’il reste constant alors que la population séropositive croît (l’amélioration des traitements réduisant les décès en son sein ainsi d’ailleurs que sa contagiosité), c’est que le pourcentage de personnes séropositives transmettant le virus décroît (ou que le nombre de personnes auxquelles chacune d’entre elles en moyenne le transmet décroît).

 

Ces succès sont relatifs car ils recouvrent des données disparates. Le NYT précise que l’épidémie étatsunienne se concentre sur les HSH (c’est-à-dire sur les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, dont environ 30.500 furent nouvellement contaminés en 2009 soit 61% des nouvelles contaminations) et qu’elle s’aggrave rapidement parmi les HSH noirs de moins de trente ans (environ 6.500 nouvellement contaminés en 2009 soit 13% des nouvelles contaminations) : « Selon les chercheurs - rapporte le NYT -, les jeunes hommes noirs qui prennent conscience de leur attirance pour les hommes sont souvent trop pauvres pour déménager dans les grandes villes les plus ouvertes sur l’homosexualité, comme San-Francisco ou New-York. Ils doivent souvent dissimuler leur orientation sexuelle à leurs familles et à leurs amis, ce qui les conduit plus fréquemment à des pratiques sexuelles furtives et risquées... Ils sont souvent dépourvus d’assurance médicale, ce qui implique qu’ils ne bénéficient pas de bilans de santé fréquents au cours desquels un médecin pourrait leur proposer un dépistage. Leur usage du préservatif est somme toute aussi régulier qu’il l’est parmi les jeunes HSH blancs ou hispaniques, cependant les relations sexuelles tendent à se nouer au sein des groupes raciaux or les HSH noirs adultes vivent davantage avec le VIH. De plus, les cas de syphilis non traités, dont les plaies constituent autant de portes d’entrée pour le VIH, sont plus courants chez les populations noires.

 

Toujours plus de contaminations parmi les HSH noirs

 

On savait déjà que l’épidémie frappait davantage les populations noires ou HSH et, par voie de conséquence, les populations noires et HSH ; on sait maintenant que l’écart s’aggrave et que, les données globales restant stables, les HSH noirs s’enfoncent tandis que les autres remontent la pente. Une nouvelle fois, le sida (plus précisément ici le VIH, virus de l’immunodéficience humaine, qui, s’il n’est pas traité, aboutit au sida, syndrome de l’immunodéficience acquise) est un révélateur sans égal des disparités sociales en même temps qu’il les aggrave et démontre que tant reste à faire pour les HSH noirs - abandonnés aussi bien par les personnes noires que par les HSH ?

 

Qu’en est-il en France ? On n’a pas les chiffres. Certes, la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés énonce en son article 8 une interdiction de principe : « Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître [...] les origines raciales ou ethniques [...] ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle...». Cependant, le même article prévoit plusieurs possibilités de dérogation à cette interdiction, notamment si les données collectées « sont appelées à faire l’objet à bref délai d’un procédé d’anonymisation ».

 

Hélas. l’État, ses organismes responsables de la santé publique, refusent d’utiliser ces possibilités de produire des statistiques basées sur la couleur de peau. Par peur du résultat ? Quelles qu’en soient les raisons, l’effet de ce refus est discutable en matière politique ou sociale ; il est dramatique en matière sanitaire. On sait qu’un tiers environ des nouvelles infections touche une personne ayant la nationalité d’un pays d’Afrique subsaharienne, on sait que certains départements où vivent de nombreuses personnes noires ou métisses en France sont plus touchés que la moyenne (Guyane, Guadeloupe, Martinique, Seine-Saint-Denis...), on sait qu’une nouvelle infection sur deux environ touche un HSH - et c’est tout. Rien sur les personnes de couleur, rien sur les HSH de couleur que l’État continue à méconnaître malgré les appels incessants d’associations comme Tjenbé Rèd Prévention (dont le premier objet social est d’agir parmi cette population), membre du Raac-sida (Réseau des associations africaines et caribéennes agissant en France dans la lutte contre le sida).

 

En France ? On n’a pas les bons chiffres

 

L’État n’est pas le seul à blâmer: les associations africaines ou caribéennes continuent d’ignorer massivement, par bigoterie ou par lâcheté, les questions du sida, de l’homosexualité ou de la bisexualité ; les associations de lutte contre le sida, si elles prennent en compte depuis longtemps les dimensions homosexuelle, bisexuelle et raciale, feignent trop souvent d’ignorer les personnes qui existent à leur intersection ; les associations homosexuelles ou bisexuelles méconnaissent fréquemment la question raciale au point qu’une fédération française LGBT (lesbienne, gaie, bi & trans) a fermement refusé, quelques jours avant le fameux et controversé discours de Grenoble du 30 juillet 2010, de créer une commission consacrée aux minorités ethniques (au motif qu’elle n’était pas une « association de lutte contre les discriminations » et que le racisme n’était « pas un problème important »).

 

Les États généraux de l’outre-mer ont proposé en 2009, à l’initiative de Tjenbé Rèd Prévention, qu’une étude porte sur la santé des personnes ultramarines et notamment sur leur santé sexuelle. Le président de la République Nicolas Sarkozy a retenu cette proposition parmi les 137 mesures qu’il a annoncées le 6 novembre 2009 au terme de ces États généraux. Les personnes ultramarines ne sont pas toutes noires et HSH, toutes les personnes noires et HSH ne sont pas ultramarines, néanmoins il s’agirait d’un premier pas pour mieux connaître une thématique de santé publique dont l’intérêt est clairement mis en évidence par le NYT. Cette étude est actuellement dans les limbes: faut-il y voir une résistance venue d’un universalisme mal compris qui, s’il éviterait d’enfermer les personnes dans telle ou telle identité, pérenniserait simultanément certaines situations de domination ? Plus largement, les minorités les plus discriminées n’appliquent-elles pas elles-mêmes en leur sein, à leurs propres minorités, les comportements excluants dont elles sont victimes ? On cherche souvent à mesurer le respect de l’universalisme républicain à l’aune de la situation d’un hypothétique « Français moyen » ou d’une hypothétique « classe moyenne » : ne faudrait-il pas au contraire le mesurer à l’aune de celle des personnes les plus marginales, présentant le plus grand nombre de critères de discriminations, en soutenant que si celles-ci bénéficient des libertés fondamentales, c’est que toutes en bénéficient ?

 

Reproduction des exclusions ou changement d’optique ?

 

Alors que les HSH noirs s’enfoncent dans l’ornière, leur situation serait ainsi un excellent indicateur de celle des HSH et des personnes de couleur. Cela suppose, on l’aura compris, de changer d’optique et de ne plus considérer cette «minorité dans les minorités» comme l’enfant bâtard de la famille, dont le génocide annoncé n’attriste personne. Est-ce le sens de cette phrase étrange et belle de James Baldwin, cet écrivain noir homosexuel qui avait dû fuir les Etats-Unis d’Amérique, dans son ouvrage La prochaine fois le feu (1963) ? « Humainement, personnellement, la couleur n’existe pas. Politiquement elle existe. Mais c’est là une distinction si subtile que l’Occident n’a pas encore été capable de la faire. »

 


Article disponible à l’adresse suivante :

http://www.minorites.org/index.php/3-lagence/1185-sida-solidaires-des-hommes-noirs-homosexuels.html



12/10/2011
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