Les enjeux d'une législation spécifique sur le VIH/sida en Afrique de l'Ouest
Les enjeux d'une législation spécifique sur le VIH/sida en Afrique de l'Ouest
Stéphanie TCHIOMBIANO
SOLTHIS Niger
Depuis quelques années, l'un après l'autre, les pays d'Afrique de l'Ouest (Mali, Bénin, Tchad, Guinée) se dotent de lois spécifiques sur le VIH/sida.
Le caractère exceptionnel de l’épidémie nécessiterait un arsenal juridique particulier, afin de renforcer la prévention de la transmission et la protection des patients séropositifs en termes de confidentialité, de consentement éclairé et de lutte contre la stigmatisation.
Cette dynamique, impulsée notamment par Aware, une ONG américaine liée à l’USAID, et son initiative régionale d’élaboration d’une loi-type relative à la prévention, la prise en charge et le contrôle du VIH/sida1, pose la question des enjeux d’une législation spécifique sur le VIH/sida en Afrique de l’Ouest, et au Niger en particulier, où ce processus est enclenché.
Quel est le contenu de ces lois spécifiques, et en quoi cela pose-t-il question ? L’existence d’une loi exclusivement consacrée au VIH/sida est-elle justifiée ?
Intérêt de santé publique
Si ces lois se présentent avant tout comme des lois renforçant la protection des personnes séropositives, elles peuvent également être des lois "répressives" à leur endroit. Certaines d’entre elles obligent par exemple les personnes séropositives à annoncer leur séropositivité à leur conjoint ou partenaire sexuel, sous peine de sanction pénale, ou encore prévoient par un article spécifique la possibilité que les personnes qui transmettent le virus en connaissance de cause soient condamnées au pénal. Il ne s’agit pas ici de relancer le débat sur la responsabilité des personnes séropositives ou de discuter de la légitimité de la pénalisation à titre individuel mais de réfléchir aux impacts de telles dispositions, en termes de santé publique et dans ce contexte particulier.
En dehors des aspects liés aux libertés individuelles, on peut penser que l’obligation d’annoncer son statut à son conjoint, permettra, surtout dans un contexte de faible séroprévalence, de prévenir la contamination du virus. Cette disposition laisse aussi aux médecins la liberté de prévenir les conjoints ou partenaires des personnes séropositives, quel que soit l’avis du patient, afin de limiter au maximum les risques de transmission.
L’Onusida et l’OMS, dans leurs directives2, se prononcent pour le respect de la confidentialité : "Il n’est ni possible ni souhaitable de forcer les gens à se faire tester (et à se faire tester toute leur vie durant), à révéler leur séropositivité, à changer leur comportement. Il faudrait pour cela créer un Etat Policier (...)". S’agissant par ailleurs de la condamnation pénale des personnes qui transmettent le virus, l’Onusida propose de différencier les situations où la personne a délibérément trompé son partenaires (seul le mensonge avéré pourrait être pénalisé) des situations où il s’est montré incapable de révéler son statut, par peur du rejet, notamment. Cette distinction entre tromperie délibérée et simple silence peut s’avérer essentielle dans un contexte où, on l’a vu, les personnes séropositives sont souvent perçues comme une menace pour l’ensemble de la collectivité. La pénalisation de la transmission ne risque-t-elle pas de transformer en "criminels potentiels", toute personne séropositive, et par là même alimenter encore plus les idées fausses et la stigmatisation quotidienne ?
Les principales victimes du rejet social sont des femmes, parfois purement et simplement mises à la porte par leur conjoint, parce qu’elles lui ont dévoilé leur statut (rappelons que la répudiation est légale, au Niger). Bien souvent, le premier à annoncer à l’autre sa séropositivité est perçu comme celui qui a amené le VIH dans la famille, même si cette personne n’a pas été la première contaminée. L’annonce au conjoint est donc particulièrement difficile, et on peut difficilement sanctionner pénalement une personne sans prendre en compte la difficulté et la peur des effets probables de l’annonce sur sa vie personnelle. De plus, dans la mesure où, partout en Afrique de l’Ouest, on incite fortement les femmes enceintes à se faire dépister pour prévenir la transmission materno-fœtale, on peut penser que la proportion des femmes, parmi la population se faisant dépister, sera de plus en plus importante et qu’elles risquent d’être les plus fragilisées par ce type de disposition.
La liberté laissée au médecin de révéler le statut sérologique d’un patient à son conjoint ou partenaire ne risque-t-elle pas de briser une relation de confiance, déjà si difficile à installer en Afrique de l’Ouest, entre les patients et le personnel soignant3 ? Surtout, cela remet en cause le principe jusqu’alors admis de la confidentialité, et risque d’avoir des incidences négatives sur le dépistage. Dans un pays où les deux tiers des patients suivis ont été dépistés à un stade avancé de la maladie (stade OMS III ou IV), suite à une suspicion médicale, et où le dépistage volontaire est quasi inexistant, une telle disposition ne risque-t-elle pas de réduire encore plus le nombre de volontaire ? Qui se fera dépisté s’il sait qu’il encourt des poursuites pénales éventuelles s’il n’informe pas immédiatement son conjoint ? Au Niger, seuls 6% des patients séropositifs ayant un besoin urgent de traitement y ont accès, l’énorme majorité d’entre eux ne connaissant même pas son statut sérologique...
Une loi spécifique
Depuis la notification des premiers cas de sida (en 1987, au Niger) des patients séropositifs ont souffert et souffrent encore du non-respect de leurs droits, que ce soit dans le milieu médical (tests de dépistage sans consentement, refus du personnel soignant de faire certains soins, discrimination, non-respect du secret médical) ou plus largement dans leur vie quotidienne (problème pour l’obtention d’un visa, d’une inscription scolaire, d’un bail de location, comportement stigmatisant du voisinage et parfois même rejet au sein de la famille). Les campagnes de sensibilisation étant généralement axée sur la mort et la peur autour du "virus du sida, tueur sournois" (au Niger, le nom populaire du VIH/sida est "Kabari Salam Aleikum", qui signifie "bonjour la tombe"), la crainte reste le sentiment dominant à l’égard des personnes séropositives et explique bien souvent les comportements de rejet, d’exclusion.
Il est donc logique que les Etats tentent de protéger les droits des personnes séropositives, particulièrement mis à mal. Il n’existe pas dans le droit international de traités ni de dispositions spécifiques aux personnes malades. A première vue, les droits de l’homme étant des droits inhérents à la personnalité humaine, les personnes malades en bénéficient au même titre que tout être humain. Toutefois, face aux violations constantes des droits de l’homme en matière de VIH/sida, la Déclaration universelle des droits de l’homme4 a été complétée par plusieurs Directives internationales sur le VIH et les droits de l’homme, notamment la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida de l’UNGASS5, appelant les pays à "promulguer, renforcer ou appliquer, selon qu’il conviendra, des lois, règlements et autres mesures afin d’éliminer toute forme de discriminations contre les personnes atteintes du VIH/sida". C’est dans ce contexte, et sous la pression de partenaires comme Aware, que la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest se dotent de lois spécifiques, reconnaissant souvent des droits mais également des devoirs aux personnes séropositives.
De telles lois auront-elles un impact sur les individus, dans une situation concrète de choix de comportement (abstinence, rapports protégés ou non ? annonce du statut sérologique au conjoint ou non ? dépistage ou non ? poursuite judiciaire ou non ?).
Certains auront tendance à relativiser l’efficacité, les effets réels de la loi en Afrique. Parce qu’elle est celle vers qui on se tourne en tout dernier recours, quand tous les autres modes de gestion des conflits, plus traditionnels, ont été vains. Parce qu’elle aurait moins de légitimité que la coutume, encore très vivace, ou l’Islam, dans un pays dont la population est à 95% musulmane, comme au Niger. Parce que 75% de la population est analphabète, et que les procédures juridiques restent obscures pour la plupart des citoyens.
Cependant, la loi n’est pas seulement efficace par son application effective, elle l’est aussi par son existence, même non appliquée. Parce qu’il s’agit du VIH/sida et que les gouvernants tiennent à montrer leur engagement dans la lutte, la promulgation de ces lois spécifiques est généralement très médiatisée, leurs principales dispositions sont donc largement diffusées (interprétées/déformées/etc.) et peuvent avoir un impact direct sur la vie des gens, sur les personnes séropositives. Enfin, cette réflexion sur les enjeux d’une législation spécifique sur le VIH/sida est aussi l’occasion de penser à la protection des malades de manière plus globale en Afrique. La confidentialité, le respect de la volonté du patient, le respect de sa dignité et la non-discrimination sont essentiels dans la relation soignant/soigné, pour l’ensemble des usagers de santé.
Si les personnes séropositives ont effectivement besoin d’un cadre plus protecteur, ne serait-il donc pas plus pertinent d’étendre cette protection à l’ensemble des pathologies ?
Principales dispositions de la loi-type
- Règlementation de l’information sur le VIH/sida
- Interdiction du test de dépistage obligatoire
- Sécurisation des pratiques médicales (dons de sang, précautions universelles, confidentialité)
- Obligation de l’annonce au conjoint et aux partenaires sexuels dans un délai de 6 semaines à compter de la date de l’annonce du statut sérologique
- Pénalisation de la transmission volontaire du VIH, ainsi que des pratiques entraînant un risque de transmission du VIH par des personnes connaissant leur statut sérologique
1 - AWARE/HIV/AIDS en collaboration avec le forum des parlementaires africains et arabes pour la population et le développement. Atelier régional d’adoption d’une loi type sur les IST / VIH / SIDA en Afrique de l’ouest et du centre, 8-11 septembre 2004, N’Djaména, Tchad.
2 – Onusida, Droit pénal, santé publique et transmission du VIH, Etudes des politiques possibles, ONUSIDA, juin 2002
3 - Jaffré Y, Olivier de Sardan JP (dir), Une médecine inhospitalière, APAD-Karthala, 2003
4 - Déclaration universelle des droits de l’homme, Assemblée Générale, 3e session, A/RES/3/217A(III), 10 décembre 1948
5 - Session Extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration d’engagement sur le VIH/sida, GA Res/S-26/2, 27 juin 2001