Ne pas nier le recours aux médecines traditionnelles

Ne pas nier le recours aux médecines traditionnelles

 

Interview de Vincent BASTIEN, coordinateur du Programme ETHIKasabati et Co-coordinateur de la Coalition RESPECT (RESpect et Promotion de l’Ethique pour les CommunauTés), à paraître dans le prochain numéro de la revue « Borderline » de Médecins Sans Frontières (http://dl.msf.fr/borderline)

 


 

MSF : Qu’on se l’avoue ou qu’on l’ignore, les patients VIH de nombreux pays ont recours à la médecine traditionnelle. Motivation économique, quête de sens, espoir de guérison ou pratique culturelle… les raisons ne manquent pas. Eclairages sur un sujet peu abordé dans nos programmes de prises en charge.

 

MSF : Quelle est votre position sur la médecine traditionnelle ?

 

Nous ne nions pas le recours aux médecines traditionnelles. Nous savons qu’une immense majorité de la population l’utilise régulièrement, de façon simultanée ou alternée avec des traitements biomédicaux, voire même quasi-exclusivement.

Il faut arrêter de dire aux patients que la médecine traditionnelle est inefficace. D’abord parce qu’il n’existe aucune certitude scientifique, ensuite parce que c’est un message inefficace : qu’on l’interdise, qu’on la tolère ou qu’on en fasse la promotion, les patients continueront de toute façon d’utiliser des médecines (néo)-traditionnelles. Dans la lutte contre le sida, il faut donc associer les tradi-thérapeutes, et ouvrir le dialogue.

 

MSF : Comment le faire dans des programmes « classiques » de prise en charge ?

 

Vous travaillez beaucoup avec des équipes médicales locales qui, elles aussi, ont régulièrement recours à ces médecines traditionnelles lorsqu’elles tombent malades. Il faut donc en parler ouvertement au sein des projets pour que la relation soignants-soignés soit la plus efficace possible.

Si on évite les non-dits dans cette relation, on peut facilement désamorcer le problème. On sait très bien qu’un grand nombre de patients cachent l’usage de produits traditionnels aux médecins et infirmiers, voir même aux conseillers psycho-sociaux. Si leur état de santé se dégrade, ils préfèrent parfois disparaître complètement du circuit. Toute réflexion sur les perdus de vus devrait à mon sens prendre en compte cette dimension.

Il en va de même pour les patients en échec thérapeutique. Très souvent, on déclare un problème d’observance au traitement, alors qu’il peut s’agir d’une mauvaise interaction entre ARV et produits traditionnels. Mais aucune recherche n’est réalisée sur ces produits et nous ne disposons d’aucune information quant à la toxicité et les effets secondaires potentiels de ces produits. C’est une des raisons pour lesquelles le ministère de la Santé burkinabé tente de travailler avec les tradi-praticiens pour qu’ils se plient à un certain nombre de recherches scientifiques. 

 

MSF : Pourquoi les patients ont-ils recours à la médecine (néo)-traditionnelle ?

 

Ils se disent parfois que la médecine « occidentale » n’offre aucun espoir de guérison. C’est d’ailleurs un argument très souvent utilisé par les promoteurs de ces produits. D’autres se tournent vers la médecine traditionnelle pour des raisons économiques. En réalité, on a trouvé certains traitements qui pouvaient atteindre jusqu’à 400 000 Francs CFA par mois (600 euros).

Dans tous les cas, le recours à ce type de médecine ne dépend absolument pas du niveau d’instruction des personnes, comme certains tendent parfois à le penser. Certaines personnes ont tout simplement plus confiance dans la médecine traditionnelle, et affirment vouloir préserver les savoirs locaux. Il ne faut donc pas sous-estimer l’aspect culturel de ce recours.

 


 

La médecine néo-traditionnelle et les produits néo-traditionnels

Il s’agit de produits apparus dans les années 1990, qui se sont multipliés dans de nombreux pays africains début 2000. Certains se présentent en terme de galénique, de formulation et de posologie comme des traitements biomédicaux. La grande majorité de ces produits n’a subi aucun essai thérapeutique et n’est pas contrôlé. Ils sont à la frontière entre les traitements biomédicaux et les produits traditionnels, et sont très répandus pour la prise en charge du sida. En 2008, Kasabati avait recensé 70 produits de ce type uniquement au Burkina Faso.

 

 


 

Kasabati est une association fondée en 2002 à Ouagadougou à l’initiative de personnes vivant avec le VIH/sida et fortement impliquées dans la lutte contre cette maladie. Elle a pour mission de fournir des conseils, d’appuyer techniquement et de renforcer les associations qui luttent contre le VIH/sida au Burkina Faso. Dans le cadre d’un projet de réflexion sur l’ « éthique des soins et de la recherche » développé avec le soutien de Sidaction et de l’ANRS, l’association a travaillé sur la place et le rôle de la médecine (néo)-traditionnelle dans la lutte contre le VIH/sida.

 



22/06/2011
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