Proposition d’intégrer la médiation dans les instruments de communication éthique

PRÉSENTÉE PAR
Michèle GUILLAUME-HOFNUNG
Professeure des facultés de droit
Vice-présidente du comité des droits de l'Homme et des questions éthiques CNF/UNESCO
Présidente de l'Institut européen d'éthique et de médiation biomédicales et sanitaires
Responsable du DU médiation de l¹Université de Paris 2

DEVANT LE C.I.B.
LE 16 -6- 06


Parmi les défis de plus en plus complexes que doit affronter le CIB, la mise au point d'instruments permettant d¹aboutir à un consentement éclairé figure en bonne place.

C’est l’article 18 alinéa 1 de la déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme du 19 octobre 2005 ...tout devrait être fait pour utiliser les meilleures connaissances scientifiques et méthodologiques disponibles  en vue du traitement et de l¹examen des questions de bioéthique qui m'encourage à vous présenter les connaissances dont je dispose sur un processus de communication éthique : la médiation.

Je regrette de devoir prélever quelques minutes de votre temps pour déconstruire  la nébuleuse terminologique dans laquelle une regrettable désinvolture sémantique a enfermé la médiation, et pour ensuite légitimer la définition de référence.

D’une manière réductrice, certains juristes a la recherche de modes de désengorgement des tribunaux l'assimilent à la conciliation. Le terme conciliation désigne a la fois l'accord amiable  et la manière d’y parvenir, très utile et très respectable la conciliation  est une  simple notion juridique,  à la fonction plus limitée que la médiation. Je sais qu¹il y a parmi vous des philosophes, et bien que je sois juriste je me tourne avec espoir vers eux car, ils placent la médiation dans les concepts, voire même dans les concepts majeurs de l'histoire de la pensée humaine. De plus, dans philosophie du droit Hegel établit bien la hiérarchie entre concept et notion dans les instruments de la connaissance. 

Comme j'entends respecter une démarche rigoureuse je vais maintenant présenter la définition qui sert de référence a ma communication :il ne s’agit pas de ma définition personnelle, même si je dois reconnaitre avoir contribué à l¹adoption. Parmi les documents que je laisse à votre disposition vous trouverez la  définition de la médiation sociale que j’ai fait adopter par les experts de L’Union européenne que j’avais eu pour mission de réunir pendant la présidence de la France lors du séminaire européen sur la médiation sociale (20-22 septembre 2000).

Processus de création et de réparation du lien social et de règlement des conflits de la vie quotidienne, dans lequel un tiers impartial et indépendant tente, à travers l'organisation d’échanges entre les personnes ou les institutions de les aider à améliorer une relation ou de régler un conflit qui les oppose.selon la recommandation des experts de l’Union européenne, très proche de ma proposition de départ. (actes du séminaire de Créteil, pp.12, 70 et  128, éd. DIV 2001).

Je la mets en avant pour trois raisons qui ont a voir avec vos préoccupations telles que je crois les saisir :

1) la vocation internationale de cette définition de la médiation : bien que limitée à l'europe la définition de la médiation sociale que j’ai portée révèle  un accord entre des pays  tant latins, qu¹anglo-saxons, de cultures tant catholique que protestante, et comportant une population musulmane importante sans compter un fort taux de non croyants.

2) sa vocation interculturelle : la recherche d’un outil de dialogue interculturel dans le respect des droits de l’homme a constitué la préoccupation dominante des participants et des gouvernements.

3) son potentiel permettant de la transposer à tout secteur de l’activité humaine: j’ai obtenu des experts européens, qu'ils pensent la définition de la médiation sociale dans l’unité fondamentale de la médiation, c’est à dire transposable à tout autre secteur par changement d'adjectif. (démarche acceptée dans la filiation assumée expressément  de la définition de la médiation sociale, par le conseil de la médiation familiale, instance strictement nationale, mais dont  l¹adhésion à l’unité fondamentale de la médiation m¹encourage). Je pense vraiment qu'on peut la transposer au domaine de l’éthique biomédicale, par simple changement d¹adjectif.

Quand on aborde aujourd¹hui la médiation on peut donc faire état de l'existence d’un SMIC terminologique seuil minimum d'intelligibilité conceptuelle qui comme son homologue le SMIC salarial garantit la survie.

Sur la base de ce smic la médiation se définit par trois séries de caractéristiques

trois critères
1) par son processus reposant sur l¹autonomie et la responsabilité des personnes concernées.

2) par le tiers médiateur, impartial indépendant sans pouvoir de décision ou de conseil (donc neutre).

Caractéristiques  en parfaite adéquation avec les principes de la communication éthique (c’est pourquoi dans ma troisième édition je me suis enhardie à  la définir comme un processus de communication éthique note 1)

3) par ses missions : les courants ne s¹accordent pas totalement. Pour certains dont je suis elle assure quatre fonctions l¹établissement, le rétablissement du lien, la prévention et le règlement des conflits. Pour certains elle sert d¹abord à régler les conflits. Il ne faut cependant pas surévaluer la différence car ce deuxième courant reconnait un bénéfice secondaire de réparation du lien, et comme le premier travaille sur communication.

J’insisterai pour commencer sur les deux  premiers critères de la médiation,  puisqu¹ils font l¹unanimité.

- l’intervention d’un tiers tout d'abord.
Elle sort les médieurs ( = les partenaires à la médiation) d’un face à face réducteur. La structure ternaire,  noyau dur de la médiation la distingue à coup sûr de la négociation ou de la conciliation qui laissent en présence deux parties en conflit, chercher une solution avec l'assistance éventuelle d¹avocats, d¹experts. 

En éthique, le tiers joue un rôle important dans de nombreuses théories qu'il s’agisse du dépassement du rapport dialectique pour Hegel, de la figure du tiers impartial pour Simmel (v. J. Freund, sociologie du conflit, paris, Puf, 1983). Dans la définition de la médiation, il doit cumuler des qualités précises (neutralité, indépendance), ayant pour objectif d’en faire vraiment un tiers  mettant en œuvre un processus vraiment ternaire (l'absence de pouvoir institutionnel du tiers). Tout troisième n’est pas tiers. En effet, dans le langage juridique, l'extériorité constitue le signe distinctif du tiers, donc si le troisième entretient un lien juridique, de subordination ou de représentation (c’est le cas de l’avocat) avec un des médieurs, il ne sera pas tiers. Il pourra être conciliateur, puisqu'on peut se concilier à deux, mais pas médiateur.

-  le processus de médiation.
La médiation repose sur un processus propre, qui ne se réduit pas à une procédure informelle de gestion des réclamations, l’absence de pouvoirs impose une méthode très précise, et interdit de trancher ou d¹influencer selon un système binaire. Les deux grandes sortes de médiation (la médiation de différends et la médiation de différences) requièrent la même méthode exigeante respectueuse de la complexité des situations humaines, comme de la liberté des partenaires.. Le passage du deux au trois est l’autre caractéristique qui marque le plus le processus de la médiation. Il va imposer de se démarquer de la représentation, la prise de partie, l'identification, l'assistanat.

Le processus repose sur l'autonomie de la volonté des personnes concernées y compris le médiateur, et sur leur responsabilité.

La médiation est la forme contemporaine, l’avatar de l’art socratique du dialogue , la maïeutique,  qui permet d'accoucher  les esprits pour qu¹ils découvrent  par le questionnement judicieux  du maïeuticien la part d¹universel qui est en nous. Citons Aristote, Socrate traite des vertus éthiques et à leur propos, il cherche à définir universellement... Il cherche ce que sont les choses...ce que l’on a raison d'attribuer à Socrate, c’est à la fois les raisonnements inductifs et les définitions universelles qui sont les uns et les autres au début de la science (métaphysique).

La médiation évite une démarche dogmatique car elle opère au cas par cas, selon une voie inductive pour dépasser  la singularité, tout en s'appuyant sur elle et son expression, ce qui renforce sa nature éthique

Le médiateur, passeur de sens : formé à l'écoute il repère les malentendus, les signale et par un travail sur les mots  favorise l'acheminement vers la meilleure compréhension possible. Son extériorité lui donne le recul pour mieux percevoir  les décalages de registre d’expression, il ne fonctionnement dans l’implicite langagier des gens de même univers. Elle le libère d'enjeux qui peuvent conduire certains professionnels à s'autocensurer. Son absence de pouvoir et la confidentialité libère la parole.

La médiation garantit la réalité de la communication en réajustant le statut des propos dans les situations disymétriques ou transculturelles

Je formule l'hypothèse que je vous soumets :
la médiation fait partie des méthodologies disponibles, en parfaite adéquation avec les objectifs de dialogue et de débat public et éclairé, mentionnés aux alinéas 2 et 3 de l’article 18, ainsi qu'au respect de la diversité culturelle et du pluralisme, dans le respect des droits de l’homme exigé par l’article 12.
   
L’autonomie et la responsabilité individuelle  au centre de l'article 5 de la déclaration du 19 octobre 2005, font partie de la définition de la médiation.

Trop souvent mais trop mal invoquée, la médiation est en réalité, la résurgence contemporaine de la maïeutique socratique.
Le conseil génétique, objet de l'article 11 du projet  dans sa version du 23 avril 2003, ne figure pas dans le texte final, mais concerne un vrai sujet d'éthique en ce qu'il touche la délicate question du droit à l'information, lui même découlant de la dignité humaine. Un certain nombre des exigences  formulées dans la dernière phrase du projet d'article 11 correspondaient d’assez près aux principales caractéristiques de la médiation le conseil génétique doit être assuré par des personnes indépendantes, il est non directif, culturellement adapté... en outre et en conclusion la médiation pour permettre de faire, au niveau international, des choix qui doivent tous tenir compte de la diversité spirituelle et culturelle de l'humanité comme l'indiquait Mme Jan, alors présidente, dans son discours d¹ouverture de la session du CIB du 12 mai 2003. Elle préconisait de prêter une attention croissante à la dimension transculturelle des problèmes éthiques.

Au delà des déclarations qui vous occupent aujourd'hui d’une manière plus générale : le besoin de communication éthique : la médiation élément du système de soins et de la nouvelle gouvernance

je n’entends pas le grec cette sèche réplique d¹angélique   ne vaut pas que pour Diafoirus, caricature de médecin,  tant il est vrai que d’une manière générale les patients n'entendent pas  la parole des soignants en dépit d’efforts réciproques. Le médecin, malade, n’échappe pas au phénomène. La maladie est un pays dont les ressortissants  perdent le bénéfice de leurs anciens outils de communication, à un moment où, pourtant, ils ressentent un besoin accru de communiquer et surtout d’être entendus. Face à la multiplication des défis éthiques, la médiation parce qu¹elle repose sur le tiers et respecte un processus fondé sur l¹autonomie et la coresponsabilité  des personnes concerner correspond à un besoin de garantie éthique.


Dans le domaine de la santé la médiation est presque toujours interculturelle. Comment expliquer le paradoxe d'un système de soin de plus en plus performant qui engendre pourtant une grande insatisfaction? En grande partie par un déficit de prise en compte de la parole des usagers, par un manque de moins en moins bien supporté de communication.


Des gens qui écoutent il y en a, les psychologues en particulier.
Des gens qui parlent ou qui voudraient parler il y en a encore plus.
Des gens qui communiquent il y en a très peu finalement, car peu de paroles ont le même niveau.


La parole se répartit entre des niveaux sociaux ou statutaires très hiérarchisés. Il y a la parole des médecins (avec les modulations institutionnelles qui va de la parole du professeur à la parole du simple médecin), des membres non médecins de l'équipe,  des rouages de l'institution de soin, des malades (souvent usagers d'un service public) et enfin de la famille à la place rarement définie mais toujours incommode, pour elle comme pour les partenaires du système hospitalier.

La parole se répartit entre des niveaux de sensibilité différents, des références hétérogènes. La qualité technique du soin ne suffit plus à fédérer des décalages, des incompréhensions résultent nécessairement de la diversité des paroles qui s'entrecroisent dans cet  univers si particulier qu'est l'hôpital. Pour les malades,  en situation de vulnérabilité, le déficit de communication est aujourd'hui mal vécu. La qualité de la communication médicale devient un élément de la qualité des soins et constitue autant de défis éthiques.

On pourrait  donner des exemples très concrets de situations où la culture soignante a du mal à intégrer d’autres valeurs que celles du bon soin tels qu¹il le conçoivent. La  recherche du  consentement éclairé constitue probablement la plus emblématiques  des formules qui depuis quelques années reflètent le souci d’une éthique se voulant plus décentrée. On sait pourtant qu¹elle peut se limiter à une invocation logomachique tant elle est difficile à atteindre sans la médiation d’un tiers, garant de la réalité  de l'information et du consentement. Opinion partagée par le Pr Sicard, président du comité d¹éthique  ( in hôpital et médiation - extrait joint au dossier) en donnant de l'effectivité  au droit à l'information, droit que la cour de cassation  française, fonde sur "le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine" (cass.civ. 1°,  9 octobre 2001), la médiation constitue un pilier de la démocratie sanitaire et de l'éthique délibérative.
Sans un repositionnement vers la médiation, le conseil en génétique ne risque-t-il pas, lui aussi de déboucher sur une expertise difficile à discuter ?

La difficulté de réfléchir ensemble constitue un autre défi éthique : la médiation permettrait de mettre en commun les facettes multiculturelles d’une situation et les éléments transdisciplinaires de sa solution.la réflexion collective loin de décharger les soignants de la responsabilité individuelle nécessite un engagement  personnel plus fort pour exposer son point de vue. Délibérer c’est réunir les opinions en faisant aller plus loin la justification de chaque point de vue, pour aboutir non au plus grand dénominateur commun mais à la préservation de l’essentiel. Mais, comment surmonter  ce qu'un auteur français a.g. Slama appelle la massivité offensive du relativisme sans pour autant trancher autoritairement. La médiation grâce à la maïeutique de son processus, renforçant la raison normatrice de chacun, permet une hiérarchisation des valeurs.

Le défi éthique de la réalité du patient. Seul un tiers extérieur au système que finissent par former les soignants et la famille peut rompre le pieux silence dans lequel on enferme le malade à l'approche de la mort le privant ainsi d’un précieux élément de décisions tant médicales que personnelles qu'il n’aura plus l’occasion de prendre. Le travail en réseau va se développer dans les années qui viennent, outre qu'il va mettre en synergie des intervenants aux cultures professionnelles différentes, il risque de tourner autour du patient sans que ce dernier en soi réellement le centre. La médiation peut contribuer à relever le défi de la recherche du sens dans le cadre du travail en réseau qui peut compliquer considérablement le recueil  et le traitement  du consentement
le besoin de communication éthique : la médiation élément du système de soins et de la nouvelle gouvernance

La relation de soin ne peut s'inscrire dans un huis clos qu'il soit sanitaire ou familial, encore moins au  moment crucial du consentement

A un moment  où le thème de la nouvelle gouvernance émerge fortement, la médiation devrait bénéficier d'une attention particulière . Les thèmes qui constituent les piliers de "la nouvelle gouvernance hospitalière"  ne peuvent se passer de l'apport d'un processus de communication éthique qui redistribue vraiment les cartes aussi bien parmi les acteurs du système de soin qu'ils soient administratifs ou soignants, qu'entre eux, les patients et leurs familles. La médiation a vocation à s'inscrire au cœur de la proximologie, discipline récente consacrée aux entourages des malades. 

 

Orientations futures suggérées :
   
Une réflexion lucide  sur les pratiques de médiation devrait permettre d¹avancer sur le thème du rôle de la médiation dans la  décision éthique parce que mal nommer serait  se condamner à mal faire

S’avère particulièrement indispensable pour éviter  que le poids du mal nommé  ne bloque les rectifications encore possibles à ce stade du développement de la médiation dans le secteur de la santé. Le paradoxe du primat de l’urgence pratique étant t de nuire à la pratique
     

D’une manière générale  on peut résumer ainsi les causes principales des risques de  contrefaçon de médiation :

-les deux syndromes de la médiation. Dans le  syndrome de m. Jourdain, on  pense faire de la médiation, comme m. Jourdain  faisait de la prose: sans le savoir. Dans  le syndrome du médiateur naturel, on  pense tirer de  son  statut personnel ou professionnel une posture innée de médiateur. Les deux syndromes conduisent à se dispenser de réflexion et de formation.

- le caractère insupportable du tiers constitue la cause principale du recours à la contrefaçon. Alors qu¹on peut se concilier à deux, la médiation ne peut se passer du tiers, or ce tiers est insupportable, d’où la tentation de le remplacer par un trompe l’œil, car tout  troisième n’est pas tiers.

Cependant la réponse à la demande de communication éthique n'échappe pas aux tentatives d’évitement du tiers. Beaucoup d'établissement  pensent répondre  au besoin de médiation en mobilisant leurs psychologues  ou leurs cadres infirmiers.il ne s'agit pas de disqualifier leur intervention, il convient au contraire de leur attribuer le titre et le mérite qui conviennent,  mais qui faute d'extériorité ne relève pas de la médiation. Quelle que soit leur qualité, dans un certain nombre de cas leur insertion dans le système limitera leur capacité d’intervention l¹extériorité du médiateur peut seule remplacer une situation binaire, d’aide par une posture ternaire dynamisante.

Pour toutes ces raisons un chantier  pourrait comporter :

- un travail sur des principes directeurs garants du processus au premier rang desquels le consentement pour la recherche commune du consentement, l’autonomie, la coresponsabilité et la confidentialité ;

- un travail sur les principes garants de la qualité de médiateur, l’extériorité du médiateur, l’indépendance du médiateur tant à l’égard des médiés que de partenaires encombrants, le non pouvoir du médiateur, la neutralité  du médiateur : vigilance à ne pas peser sur les résultats, l’impartialité du médiateur a l’égard des partenaires, sa formation spécifique à la médiation pour être capable de garantir le processus ainsi que  d’acquérir et de préserver une posture de médiateur.



31/08/2007
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