Questions d’éthique sur des essais cliniques

Sida : questions d’éthique sur des essais cliniques

 

Par Paul Benkimoun

Le Monde, 16 07 2006

 

S’agissant de maladies aussi graves que le sida, est-il moralement acceptable de faire des essais cliniques sur un traitement en le comparant à un placebo ? La question revient dans l’actualité avec l’essai mis en place en Afrique australe pour évaluer l’efficacité et la sécurité d’emploi d’un gel microbicide (Le Monde du 19 juin). Dix mille femmes vont prendre part à cette étude. Après information, elles seront réparties de manière aléatoire en deux groupes, dont l’un recevra un gel vaginal appelé Pro 2000 contenant une substance chimique active sur le VIH, et l’autre un gel placebo.

 

Les reproches émanant du courrier au Monde peuvent être ainsi résumés : on se sert de ces femmes comme de cobayes dans des conditions qui ne seraient pas acceptées dans les pays développés ; les organisateurs de l’essai ne favoriseront pas l’utilisation de préservatifs car ils ont intérêt à ce qu’un maximum de femmes sous placebo soient contaminées ; les femmes contaminées auront-elles accès aux traitements anti-VIH ?

 

Le questionnement est légitime. Les reproches sont injustes. Dans les pays en développement, plus de la moitié des personnes séropositives sont des femmes. Plus de 13 millions de femmes sont porteuses du VIH en Afrique subsaharienne. Mettre au point un outil de prévention qu’elle puissent maîtriser, ce qui n’est pas le cas du préservatif, est donc primordial.

 

L’essai clinique avec le Pro 2000 va-t-il à l’encontre des principes éthiques définis à partir du code de Nuremberg ? Aucunement. Son protocole a été approuvé par les comités d’éthique et les autorités de régulation des pays participants, de même que par un comité d’éthique britannique et la Food and Drug Administration américaine. Des comptes sont régulièrement rendus à deux structures de supervision indépendantes, qui ont autorité pour interrompre l’essai.

 

S’il existait un produit de référence permettant d’inactiver le VIH, tester le Pro 2000 contre un placebo serait scandaleux. Ce n’est pas le cas. Les seuls outils de prévention disponibles sont les préservatifs, masculin ou féminin, dispensés avec une formation répétée sur leur emploi.

 

Dans la vie réelle, le taux d’utilisation des préservatifs n’atteint jamais 100 %. Il y aura fatalement des contaminations au cours de cet essai. Considérer a priori qu’elles seraient dues au cynisme des organisateurs de l’essai relève du procès d’intention. Loin d’être menée par une firme privée qui n’aurait d’autre objectif que d’écouler son produit, l’étude est conduite par une structure publique britannique, le Conseil de la recherche médicale (MRC), avec un financement public. Par ailleurs, les équipes des sites participants ont établi préalablement à l’essai des liens avec les programmes locaux d’accès aux traitements du sida pour garantir la prise en charge des femmes qui en auraient besoin.

 

Pourrait-on se passer d’un tel essai ? Non, car il serait pour le coup scandaleux de diffuser des produits n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation rigoureuse. Deux essais menés, à la fin des années 1990, en Afrique, avec un gel contenant du nonoxynol-9, avaient dû être interrompus. En laboratoire, ce spermicide faisait efficacement barrière au VIH. Au cours des essais, il entraînait des ulcérations vaginales et les femmes qui l’utilisaient étaient plus souvent infectées par le VIH que celles qui employaient le placebo.

 

Pourrait-on évaluer le gel sans recourir à la méthode de l’essai avec répartition aléatoire ("randomisé") et contre placebo, que l’Organisation mondiale de la santé reconnaît comme la base la plus solide pour une recommandation sanitaire ? Non, car il n’y a pas encore de preuve que le microbicide serait efficace pour protéger les femmes de la contamination et un essai sans groupe contrôle sous placebo ne fournirait pas une preuve aussi forte.

 

Dans les pays du tiers-monde, où l’allocation de ressources financières est beaucoup plus limitée que dans les pays développés, les interventions en santé publique doivent être étayées par le meilleur niveau de preuve possible. Ne pas faire une évaluation au rabais est non seulement une question d’éthique, mais aussi une préoccupation concrète.



28/05/2008
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